La croissance en question
Certains gabarits prédisposent aux exploits sportifs. En théorie seulement !
- Publié le 17-03-2019 à 18h01
- Mis à jour le 21-03-2019 à 16h45
Certains gabarits prédisposent aux exploits sportifs. En théorie seulement !
Le milieu du sport est obnubilé par les questions de croissance. On en tient compte dans le recrutement des clubs. Certains pays organisent même des dépistages à l’échelle nationale où les projections de taille adulte occupent une place importante. Les jeunes parents aussi sont très attentifs à ce paramètre. Dès la naissance, on pointe l’évolution des enfants sur des courbes de croissance sexuées qui suivent toutes la même trajectoire : linéaire dans l’enfance, abrupte à la puberté, plane à partir de 17-18 ans. Ensuite, plus rien à espérer. Notre taille est définitivement fixée. Pas de chance si elle ne vous plaît pas.On ne peut plus rien faire pour la changer. Sauf à recourir à une technique d’allongement des jambes par le biais de plusieurs fractures osseuses avec écartement progressif des moignons (NB : la "distraction osseuse par régénération") selon une méthode originaire de Russie. C’est long, douloureux, pas très efficace. Mieux vaut donc se satisfaire de ce qu’on est selon le dicton qui veut que "la bonne taille pour les jambes, c’est quand les pieds touchent bien par terre".
La quatrième dimension
Jean-Claude Pineau, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, étudie l’évolution du corps dans le sport. Quand il parle de la croissance des jeunes, il adopte un point de vue assez différent de celui des recruteurs. Dans le Zatopek actuellement en kiosque, il livre son analyse : "À l’âge de 13 ou 14 ans, les meilleurs athlètes sont souvent d’origine africaine et plus avancés que les autres au plan pubertaire. Ce ne seront pas forcément les champions de demain. Parfois, si. Mais il arrive aussi assez souvent qu’ils sortent des radars une fois adultes car ils plafonnent très vite. En grandissant plus vite que les autres, ils atteignent aussi plus vite leur potentiel et arrêtent de progresser."
Il poursuit : "À force de faire passer le test de Léger (*) à des jeunes sportifs, j’ai pu me rendre compte que les sujets avec un bon niveau athlétique à 13 ans et qui étaient en retard pubertaire explosaient ensuite les compteurs une fois passée leur puberté."
Sur deux jeunes de 13 ans de taille et performance égales, le moins avancé dans la puberté sera le plus costaud et potentiellement le plus rapide à l’âge adulte. En d’autres mots, la méprise serait de considérer l’être humain sportif en trois dimensions, hauteur, largeur, profondeur, en omettant la quatrième, celle du temps. Certains ados grandissent à un rythme très lent, gardant bien caché un authentique potentiel athlétique. Un peu petits, parfois légèrement potelés, ils ne demandent pourtant qu’un peu de patience avant de se réaliser. Si ces précieuses années de délai ne leur sont pas accordées, le risque est grand qu’ils passent à côté d’un beau parcours d’athlète. Ou plus simplement, qu’ils ne s’adonnent jamais au sport alors qu’ils auraient pu s’y épanouir pleinement.
Bref, les travaux actuels confirment que les traits caractéristiques d’un athlète de haut niveau apparaissent relativement tôt - ce que l’on savait déjà - mais aussi qu’ils n’apparaissent pas en même temps pour tout le monde. Loin de là ! Or la standardisation des méthodes de détection et des corps sportifs tendrait à faire fi de ces fluctuations individuelles.
* Le test de Léger, ou de la navette, consiste à demander aux sujets de courir des sprints de 20 mètres jusqu’à épuisement, en accélérant à chaque fois la cadence de 0,5km/h. Il permet d’évaluer la capacité aérobie.